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Objectifs de recherche

Notre objectif principal est d'étudier les chapeaux de fer de l'Arctique canadien en tant qu'analogues aux anciens systèmes hydrothermaux sur la planète Mars. Les chapeaux de fer sont caractérisés par des dépôts de surface de couleur ocre assez facilement identifiables à l'aide d'images prises par satellite (figure 1). La composition de ces chapeaux de fer peut cependant varier à l'échelle locale (un mètre ou moins), ce qui nécessite des instruments de télédétections plus rapprochés de l'affleurement pour pouvoir déterminer sa composition minéralogique. Les éléments précis qui composent la matière et le potentiel de préservation de la biosignature doivent quant à eux être obtenus par l'analyse des échantillons : c'est une information qui ne peut pas être obtenue à distance.

Nous proposons donc d’étudier la composition des chapeaux de fer aux échelles spatiales de l'orbite, de l'astromobile (rover) et de l'échantillon (figure 2). De cela découlent les objectifs spécifiques présentés sous la figure 2, qui ont été choisis dans l'optique de réaliser une méthodologie analogue à celle utilisée lors des missions martiennes.

Chapeaux de fer à proximité de la station de recherche MARS

Figure 1 : Chapeaux de fer près de la station MARS, île Axel-Heiberg (Nunavut). Image captée par le satellite WorldView (Copyright 2019 DigitalGlobe Incorporated).

Schéma des objectifs

Figure 2 : Objectifs de recherche et leur échelle de travail respective.

Des chapeaux de fer ont été détectés à divers endroits dans l'Arctique canadien, et certains ont déjà été étudiés sur le terrain. Notre région d'étude est située près de la station de recherche arctique de McGill (MARS, McGill Arctic Research Station - à ne pas confondre avec le titre de notre projet de recherche T-MARS, Terrestrial Mineral Analysis by Remote Sensing), sur l'île Axel Heiberg au Nunavut. Cette région s'est avérée être particulièrement riche en chapeaux de fer et en dômes d'évaporites, ce qui est cohérent avec la présence d'un système paléo-hydrothermal [1,2,3].

La première étape de notre projet est d'établir le contexte régional et la télécartographie prédictive [4] des chapeaux de fer sur l'île Axel Heiberg, à une échelle spatiale de l'ordre d'une dizaine à une centaine de mètres. Ces cartes seront utiles en préparation aux campagnes de terrain et aux travaux qui seront réalisés sur place [4]. Les données géoscientifiques utilisées pour la cartographie incluent :

  • des cartes géologiques fournies par la Commission géologique du Canada;
  • des cartes topographiques;
  • des images satellitaires de capteurs tels que Landsat, Spot, Ikonos et WorldView;
  • le modèle numérique de terrain ArcticDEM (Arctic Digital Elevation Model).

Dans notre cas, nous produirons une carte prédictive des chapeaux de fer sur l'île Axel Heiberg pour déterminer leur abondance, lesquels sont accessibles pour l'échantillonnage terrain et lesquels semblent les plus intéressants scientifiquement, en fonction de leur contexte régional et de leur composition. Le processus de télécartographie prédictive est analogue à l’utilisation des données acquises par les instruments de télédétection en orbite autour de la planète Mars, afin de déterminer le site d’atterrissage le plus prometteur pour un atterrisseur ou un astromobile (rover) [5].

La deuxième étape de notre projet est d'étudier la composition des chapeaux de fer horizontalement, à une échelle spatiale de l'ordre du mètre au centimètre. La recherche sera réalisée sur l'île Axel Heiberg lors de deux campagnes de terrain durant les étés 2022 et 2023 afin de visiter un maximum d'affleurements. Cette étape est analogue aux opérations scientifiques qui seraient réalisées par un astromobile (rover) ou un drone sur la planète Mars.

Acquérir des données de télédétection localisées

  • Paramètre mesuré : réflectance localisée des chapeaux de fer
  • Instrument de mesure : spectroradiomètre portable
  • Échelle spatiale de mesure : centimétrique
  • Utilité : établir la composition minéralogique en surface à différents endroits sur les chapeaux de fer et valider les observations de télédétection acquises à des résolutions plus grossières

Acquérir de échantillons de surface

  • Paramètre mesuré : prise d'échantillons pour faire des analyses plus poussées en laboratoire
  • Instruments : pelles, pioches, sac de plastiques
  • Échelle spatiale de mesure : centimétrique
  • Utilité : déterminer la composition minéralogique et chimique des chapeaux de fer

La troisième étape de notre projet consiste à étudier la composition des chapeaux de fer verticalement, à une échelle spatiale de l'ordre du mètre au centimètre. La recherche qui sera réalisée sur le terrain à l'île Axel Heiberg est analogue aux opérations scientifiques qui pourraient être menées par un astromobile (rover) martien à l'aide d'un carottier et d'instruments de télédétection. L'exploration passée des chapeaux de fer arctiques canadiens sur l'île Victoria et sur l'île Axel Heiberg a révélé que les chapeaux de fer sont stratifiés, mais que la stratification des différents chapeaux de fer varie [1,6]. Une étude plus approfondie de la stratigraphie permettra d'approfondir les connaissances sur la composition verticale des chapeaux de fer ainsi que leurs processus de formation et d'évolution. Cela permettra également de cibler les couches spécifiques qui sont les plus probables pour héberger de la vie (et ont potentiellement hébergé de la vie dans le passé sur Mars).

Acquérir des échantillons des différentes couches des chapeaux de fer

Nous creuserons des tranchées de 30 à 50 cm de profondeur dans les chapeaux de fer sélectionnés pour obtenir une vue en coupe. Ce processus est analogue à un astromobile qui acquiert un échantillon de carottage (par exemple, le carotteur de la prochaine mission ExoMars 2020 de l’Agence spatiale européenne devrait atteindre des profondeurs d’au plus 2 m). Des images de ces coupes seront acquises afin de déterminer la stratigraphie de l'affleurement. Ces informations permettront de distinguer et de catégoriser les différentes couches. Des échantillons seront acquis pour chaque couche identifiée, à l'aide de matériel organiquement stérile pour éviter la contamination. Les échantillons seront ramenés au laboratoire pour une analyse plus approfondie.

La quatrième étape de notre projet consiste à étudier la signature spectrale, la composition et les biosignature des échantillons rapportés. Les analyses seront réalisées dans différents laboratoires par les étudiantes, sous la supervision des chercheuses et chercheurs. Ramener aux laboratoires des échantillons analogues à ceux récoltés sur la planète Mars pour les étudier davantage est conforme aux objectifs de l'astromobile (rover) Mars 2020, pour lesquels les échantillons seront acquis, scellés, stockés à bord puis déposés à la surface de Mars pour être récupérés par une mission ultérieure.

Étudier la signature spectrale des échantillons

Nous allons caractériser la réflectance spectrale de chaque échantillon dans le laboratoire de spectroscopie de Pre Lemelin à l'Université de Sherbrooke. Les spectres de réflectance seront acquis à l’aide d'un spectroradiomètre portable en suivant les spécifications de la série de matériaux analogiques planétaires de l’Agence spatiale canadienne (ASC) [7], qui détaille les paramètres uniformisés pour la prise de mesures. Les spectres les plus pertinents seront ensuite partagés avec la série de matériaux analogiques planétaires de l'ASC, dans la section des matériaux analogues à la planète Mars [7].

Étudier la composition des échantillons

Nous caractériserons la composition des échantillons à l'aide des instruments de fluorescence à rayons X (FRX) et de diffraction des rayons X (DRX) au Centre de Recherche en Microscopie Électronique de l'Université McGill, sous la supervision de l'astrobiologiste Pr Léveillé. Les instruments FRX fournissent des informations sur la composition élémentaire et chimique des échantillons, tandis que la DRX fournit des informations sur la minéralogie du matériel.

Étudier la biosignature des échantillons

Le contenu de la biosignature des échantillons sera étudié à l'Université McGill sous la supervision de l'astrobiologiste Pr Léveillé. Plus précisément, nous ciblerons les signatures élémentaires et texturales de la jarosite et des minéraux associés. Alors que la préservation de la matière organique est considérée comme étant faible sur la planète Mars, les minéraux peuvent conserver des informations pendant des périodes beaucoup plus longues, car ils ne sont pas autant soumis aux processus oxydatifs et aux effets des radiations que la matière organique [8,9]. Pour ces raisons, les minéraux liés aux systèmes hydrothermaux et les minéraux d'altération sont considérés comme des cibles d'exploration primaires sur Mars [10,11].

La jarosite et les minéraux de sulfate de fer apparentés sont généralement produits à partir de l'altération aqueuse à basse température de systèmes hydrothermaux riches en sulfures [12,13]. Ainsi, ils représentent un intérêt particulier sur la planète Mars ainsi que dans notre région d'étude. Il a récemment été démontré que la jarosite formée sans présence de vie comporte des différences spectrales par rapport à la jarosite formée en présence de vie [14]. Il a également été démontré que l'étude des occurrences terrestres de jarosite peut aider à réinterpréter l'historique de la présence d'eau sur la planète Mars, sur la base de données récoltées grâce aux astromobiles (rovers). La conclusion est que la présence de jarosite, plutôt que de suggérer des environnements acides et limités en eau, suggère des conditions beaucoup plus habitables aux débuts de la planète Mars [15].

Les systèmes hydrothermaux sur Terre sont bien connus pour contenir diverses communautés microbiennes, dont plusieurs laissent des biosignatures caractéristiques dans les roches et minéraux, dont des formes filamenteuses minéralisées [12,13]. L'avantage d'étudier des échantillons en laboratoire est qu'un niveau de détail élevé peut être obtenu concernant les interactions entre les microbes, la matière organique et la matière minérale. En fait, l'étude d'échantillons collectés sur Mars est peut-être le seul moyen de détecter de manière concluante la présence passée de la vie.

Notre approche peut être utilisée pour étudier les biosignatures et en développer une série sans ambiguïtés. En plus de simuler l'analyse des échantillons prélevés sur la planète Mars, cet effort aidera à mieux comprendre la préservation de la biosignature dans les minéraux martiens au fil des temps géologiques, dans les climats froids et arides. Nous combinerons les spectroscopies LIBS et Raman en laboratoire pour caractériser les échantillons et identifier les biosignatures. Celles-ci seront étudiées plus en détail à l'aide d'un microscope électronique à balayage et à transmission au Centre de recherche en microscopie électronique de l'Université McGill.

Références

  1. Percival and Williamson (2017) Morphology, mineralogy and geochemistry of gossans, Axel Heiberg Island, Nunavut, in Williamson, M.-C. (2017) GEM 2 High Arctic Large Igneous Province (HALIP) activity: workshop report; Geological Survey of Canada, Open File 8151, 60 p.

  2. Harris et al. (2012) Remote Predictive Mapping: An Approach for the Geological Mapping of Canada’s Arctic, Dr. Imran Ahmad Dar (Ed.), ISBN: 978-953-307-861-8, InTech.

  3. Percival and Williamson (2016) Mineralogy and spectral signature of reactive gossans, Victoria Island, NT, Canada, Applied Clay Science, 119, 431–440.

  4. Cloutis et al. (2015) The Canadian space agency planetary analogue materials suite, Planetary and Space Science, 119, 155-172.

  5. Banfield et al. (2001). Mineralogical biosignatures and the search for life on Mars. Astrobiology, 1(4), 447-465.

  6. Varnes et al. (2003). Biological potential of Martian hydrothermal systems. Astrobiology, 3(2), 407-414.

  7. National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine (2019) An Astrobiology Strategy for the Search for Life in the Universe. Washington, DC: The National Academies Press.